Il n’y a qu’une seule chose que je souhaite voir avant ma mort, c’est que mon peuple n’ait plus jamais besoin d’expressions de sympathie.Sans chercher à m’ériger une statue, je peux vous certifier qu’en tant que juif pédé, pas grand-monde ne sait mieux que moi ce que ressentent les minorités (quoique j’ai un jour rencontré une lesbienne mi-noire mi-juive qui répondait au doux prénom de Morton), et s’il existait quelque part un Pédéland dans lequel les homosexuels n’auraient pas à se soumettre aux lois des hétéros, et où je pourrais obtenir les même droits qu’eux, sachez que je m’en réjouirais de la même façon. Je ne ferais pas nécessairement mes bagages dans l’instant pour y émigrer, mais je serai heureux et rassuré qu’un tel lieu existe. Il en va de même pour Israël. Je n’oublie pas qu’il y a 70 ans, les quelques centaines de juifs qui restaient sur l’île de Rhodes -ma famille- ont été rassemblés sur la place principale de la Juderia, et envoyés à Auschwitz. Parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. Israël a été créé pour que le peuple juif puisse -enfin- disposer de lui-même. C’est pourquoi je me torche respectueusement avec les opinions -valables ou non- de ceux que l’État d’Israël ne concerne pas. S’il y en a que ça dérange, la porte est grande ouverte.
L’autre coming-out
Quand nous avons créé C’est La Gêne, il y a environ une éternité, la question des nos surnoms ne s’est pas posée longtemps: il n’y avait parmi nous qu’une seule meuf, qu’un seul arabe, et qu’un seul pédé.
Mais il se trouve qu’il n’y avait pas qu’un seul juif.
Notre ami Le Juif n’ayant pas d’autre minorité à sa disposition, le patronyme en question lui a échu, d’autant plus naturellement qu’il était d’entre nous le plus marqué par son identité juive. Pour ma part, peu concerné que je suis par les affaires de religion et la politique internationale, je n’ai jamais songé que la question de mes origines viendrait un jour sur le tapis de jeu de C’est La Gêne. Et puis La Meuf s’est barrée en Israël, et puis elle a écrit deux articles enflammés qui n’ont pas manqué de déchaîner les foules – rien d’inhabituel, me suis-je dit. Et puis non, il y a comme quelque chose qui me démange. Alors voilà:
Je suis juif.
Pas juif à moitié, ni aux trois quarts, mais à 100%, un vrai youpin pur jus. Mais les choses ne sont pas si simples: mon père, ce grand homme, laïc convaincu, nous a expliqué très tôt que Dieu était une invention destinée à apaiser les masses, et que les religieux de tous bords étaient le plus grand fléau de l’humanité. Prompt depuis mon plus jeune âge à afficher mon athéisme triomphant, combien de fois ai-je entendu, de la bouche de juifs comme de non-juifs, l’inévitable « ben si t’es athée t’es pas juif alors? ». Pourquoi alors, ma grand-mère roulait-elle allègrement tous ses r ? Pourquoi ne cuisinait-elle pas de blanquette de veau et de coq au vin comme les autres grands-mères? Pourquoi nos ancêtres avaient-ils soufferts des siècles de discrimination, d’exils, de ségrégation, de pogroms, de massacres, et autres joyeusetés? Pourquoi ai-je été terrassé d’émotion en pénétrant dans le musée juif de Berlin ? Parce que je suis juif. Certes je suis français, et pas peu content de l’être. Mais lorsque je regarde Marie Antoinette, ai-je l’impression d’y voir mon Histoire? Non. Parce que mes ancêtres ne portaient ni perruques, ni crinolines: ils vivaient dans des shtetls en Pologne et dans la Juderia de Rhodes. Pourquoi ? Parce que je suis juif.
Mais il y a pire : je suis ce qu’on appelle un SIONISTE.
Je sais que ce mot a été galvaudé au point de perdre sa signification et de devenir une insulte. Mais devant les réactions horrifiés de certains lecteurs face aux articles de La Meuf dans lesquels elle affiche -peut-être de façon excessivement idéaliste- son soutien à Israël, devant l’incroyable flot de désabonnements à C’est La Gêne entraînées par lesdits articles (du jamais-vu), le pyromane en moi a une furieuse envie d’enfoncer le clou jusqu’au sang.
Je suis sioniste, parce que je soutiens l’idée d’un État Juif. Pour être parfaitement honnête, je me fous un peu que cet État s’élève sur les ruines du Temple ou sur les îles Falkland ; mais il se trouve qu’aujourd’hui Israël existe à un endroit précis et il nous faut faire avec. Peu importe qui était là avant et encore avant, juifs ou arabes : le monde a toujours évolué au gré des conflits et aucune frontière n’a jamais été éternelle. Ce qui n’exclut en rien l’évidence : les palestiniens doivent obtenir un État souverain, et les Israéliens devront s’en accommoder et apprendre à vivre en paix avec leurs voisins, ne serait-ce que parce que leur existence en dépend (pouet pouet).
Bien entendu, je ne me risquerai pas à prétendre qu’Israël est un État parfait. On y rencontre des partis politiques abjects, des graves injustices, et des violations des droits de l’homme impardonnables, comme dans tous les pays du monde depuis l’aube de l’humanité (et tout particulièrement ceux qui mènent une guerre pour leur survie depuis le jour de leur création). Il ne s’agit pas là de justifier les aspects les plus sombres de l’État d’Israël, juste d’admettre que la guerre est sale, que la guerre pue, et -comme l’ont montré magistralement Steven Spielberg et Tony Kushner dans Munich- que le sang salit. Mais quand je lis qu’Israël est un « État génocidaire », que le Hamas est une organisation terroriste « comme l’était la Résistance durant la seconde guerre mondiale », que soutenir Israël est désormais considéré par certains comme l’apanage exclusif des réacs, que C’est La Gêne est soudainement accusé d’être un blog de propagande alors que nous nous contentons, comme nous l’avons toujours fait, d’exposer des opinions personnelles, et que, pour couronner le tout, nous recevons des mises en gardes du type « Ne craignez vous pas de perdre le lectorat que vous avez acquis en changeant la ligne éditoriale actuelle (…). Je me suis attaché à vous, je ne dirais pas « c’était mieux avant » mais réfléchissez aux conséquences », je réalise que quelque chose ne tourne pas rond.
La première chose qui me frappe, c’est que personne ne semble trouver anormal qu’il existe encore des opposants à Israël. Entend-on parler d’opposants à la France, aux Etats-Unis, ou même à l’Iran et à la Russie ? Des opposants à la politique française ou américaine, certes, aux régimes iraniens ou russes, certes, mais qui -à part Osama et ses potes- oserait se définir comme une opposant à ces nations elles-mêmes? Quel être civilisé aurait l’audace de contester le droit fondamental des ces États-nations à exister, quand bien même leurs dirigeants se rendraient coupable d’agissement atroces (ce qui est déjà le cas pour certains) ? Et pourquoi, après plus de 60 ans d’existence, s’autorise-t-on encore et toujours à remettre en question l’existence même d’Israël ?
Ensuite, que les palestiniens (dont la souveraineté est en jeu) et les juifs du monde entier (pour qui Israël représente une terre d’accueil dont les portes leurs seront toujours ouvertes) s’enflamment sur le sujet, rien de surprenant. Mais pourquoi diable tous les ploucs de France et de Navarre se montrent-ils aussi fanatiques sur la question, y compris ceux qui se foutent intégralement de la politique internationale ? Comment expliquer que notre premier exode notable d’abonnés intervienne à propos d’un sujet qui ne concerne pas de près -ou même de loin- la majorité de nos lecteurs ?
Pour ma part, je me réjouis chaque jour qu’Israël existe. Pourquoi ? Nul besoin de prétendre à une quelconque objectivité : parce que je suis juif. Personne n’a jamais fait de mystère sur le pourquoi de l’existence d’Israël : après des siècles d’apatridie plus que périlleuse, les juifs du monde entier peuvent enfin respirer à l’idée qu’en cas de pépin, une terre existe sur la planète pour les accueillir. Comme l’a remarqué Golda Meir en 1938 à l’issue de la conférence d’Evian -au cours de laquelle 32 pays, à l’exception notable de la République Dominicaine, ont poliment refusé d’accueillir les populations juives victimes des persécutions nazies :