Des terroristes accueillis à l’ONU, c’est normal ?
Ça fait un peu plus d’une semaine que je vis à Jérusalem, que je me tiens informée des sujets chauds, et je dois dire qu’en tant que Française, il y a un truc qui me tracasse. Il se trouve en plus que nous sommes le 12 septembre 2011, 10 ans et un jour après les attentats du 11 septembre (ce qui, soit dit en passant, ne nous rajeunit pas ma bonne dame), une date propice pour parler de la dernière tendance du moment: trop kiffer les terroristes et en faire des Chefs d’Etat.
Comme vous le savez certainement, dans quelques jours, l’Assemblée générale des Nations Uniesouvrira sa 66ème session. A cette occasion, les Palestiniens espèrent obtenir une adhésion à part entière de leur État et une reconnaissance internationale. Je m’arrête ici une seconde pour mettre quelques petites choses au clair avant de poursuivre, en prévision de commentaires crispants. La création d’un Etat palestinien, voisin d’Israël, est selon moi essentielle si l’on souhaite la paix dans la région, constitue la seule solution envisageable – deux Etats pour deux peuples – et est impérative pour le bien-être du peuple palestinien. Je ne parlerai donc pas du fond mais de la forme qui me semble très discutable en l’état actuel des choses au niveau de la gouvernance dans les territoires palestiniens.
Résumons. Depuis 2007, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza, évinçant totalement le Fatahdu Président Mahmoud Abbas qui continue de gérer la Cisjordanie. Le Hamas et le Fatah ne peuvent pas se blairer, les seconds traitant les premiers – à juste titre – de terroristes, jusqu’à ce que soudainement, ils décident de signer un accord en vue de cette déclaration unilatérale (demande qui va d’ailleurs à l’encontre de tous les traités de paix précédemment signés, notamment les Accords d’Oslo), ce qui a réjoui cette courgette de Ban Ki-moon.
Petite pause sur le « à juste titre » ci-dessus. Si t’es déjà en train de rédiger ton commentaire comme un(e) furieux/se pour m’expliquer que le Hamas n’est pas une organisation terroriste, ne te fatigue pas, tu n’obtiendras aucune réponse de ma part. Les débats stériles avec des andouilles n’ont pas pris l’avion avec moi. Je poursuis.
Donc le Hamas et le Fatah se sont réconciliés et sont prêts à aller bras dessus-bras dessous à New York pour recevoir les hourras de la communauté internationale. Pendant que Mahmoud et Ismaëlchoisissent leurs tenues de gala, les pays de l’Union européenne hésitent. Faut-il voter oui ou voter non. Je rassure tout de suite les israéliens et les palestiniens susceptibles de me lire, il n’est absolument pas question, dans les réflexions menées par les honorables pays européens de droits de l’homme, d’autodétermination, de sécurité, et des deux peuples concernés. Il n’est question que de politique et de stratégie. Est-il plus intéressant pour Sarkozy, Merkel, Berlusconi et les autres de voter oui ou non, en fonction des différentes échéances à venir. Le problème, c’est que l’Europe aimerait bien avoir une position commune sur cette affaire et ils galèrent grave. En premier lieu parce que les dirigeants de tous les pays d’Europe n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes intérêts. Et en second lieu parce que numériquement, les palestiniens et leurs soutiens dans le monde l’emportent. Mais économiquement, les israéliens gagnent. J’ai de la peine pour tous ces dirigeants, leur choix est cornélien.
Mais à bien y réfléchir, il y en un pour qui la décision devrait être plus simple. Logiquement. Humainement. Politiquement. Et par chance, il s’agit du Président du pays dont je porte la nationalité et dont je parle la langue. Je vais donc pouvoir exposer ici les raisons pour lesquelles je pense qu’il est impératif que la France vote NON. Bien sûr, il s’agira d’un vote de forme, purement symbolique puisque les jeux sont faits, mais néanmoins essentiel si Monsieur Sarkozy souhaite encore prétendre à un certain humanisme et à une certaine continuité – et donc à une crédibilité – dans son action.
En fait il n’y a pas plusieurs raisons, il n’y en a qu’une et c’est un nom : Guilad Shalit.
Voici quelques phrases prononcées par Nicolas Sarkozy sur Guilad Shalit depuis son accession à la Présidence de la République.
Après la libération d’Ingrid Bétancourt : « Je voudrais que mes derniers mots soient pour le soldat Shalit et pour ses parents, nous ne l’oublions pas. La France est toujours prête à se mobiliser quand quelqu’un est injustement retenu« .
En juin 2010, dans une lettre à ses parents, il parle d’un traitement « qui manque totalement d’humanité, ignore les principes universellement reconnus s’agissant des prisonniers, en premier chef, le droit de visite du Comité international de la Croix rouge« .
En août 2010, il assure que « le sort inacceptable de ce jeune homme, privé depuis plus de quatre ans de liberté et de contacts avec les siens, nous émeut et nous réunit« . Guilad Shalit « n’est pas un prisonnier de guerre, car les prisonniers de guerre ont des droits« , mais « un otage« . Il mentionne enfin que « des efforts obstinés ont été menés afin d’obtenir sa libération. S’ils n’ont pas encore abouti, soyez certains que jamais nous ne baisserons les bras. Notre action continue. Elle réussira« .
Monsieur le Président,
(Oui, pour aller plus vite, j’ai décidé de lui parler directement et je suis sûre qu’il lit CLG en cachette) Comment votre action pourrait-elle réussir si vous acceptez de reconnaître ses ravisseurs et geôliers comme représentants légitimes d’un Etat souverain ? Comment pourrait-elle réussir si vous normalisez les relations avec le Hamas ? Comment pourrait-elle réussir s’ils peuvent se targuer d’une reconnaissance par les pays démocratiques de l’Union européenne ? Comment pouvez-vous parler de « sort inacceptable » si vous votez en faveur des responsables de ce sort ? Comment pourrez-vous justifier auprès de ses parents, auprès de tous les Français qu’un citoyen français soit détenu par un Etatdont la reconnaissance en tant que tel était en partie entre vos mains ?
Vous avez dit il y a un an : « la détention, au secret, d’un être humain pendant plus de quatre ans est simplement contraire à tous les principes d’humanité. » Un Français est traité de façon contraire à tous les principes d’humanité, mais vous envisagez encore d’accorder le soutien de la France à ceux qui sont responsables de ce traitement inhumain ?
En juin 2011, il y a à peine plus de deux mois, vous avez écrit les mots suivants à Guilad Shalit lui-même (preuve que vous aimez bien les actes symboliques) : « C’est à vous aujourd’hui que je souhaite m’adresser directement, car je n’accepte pas cet isolement que vos geôliers vous imposent depuis cinq ans en violation de toutes les normes de droit international et des plus élémentaires principes d’humanité ». Des « geôliers » peuvent-ils gouverner un Etat reconnu par la communauté internationale ? Par la France, celle que l’on appelle encore « patrie des droits de l’homme » ? La France est aussi la patrie de Guilad Shalit. Va-t-elle l’abandonner ?
Toujours cette année : « Vous passez, dans la solitude la plus extrême, vos années de jeunesse. Cette situation est indigne. Rien ne peut la justifier ». En effet, rien. Guilad Shalit a eu 25 ans le mois dernier. Monsieur Sarkozy (je sais qu’il aime bien appeler les gens par leurs noms, alors je fais pareil, vous remarquerez), pensez à vos deux fils aînés, Pierre et Jean, ils ont son âge. Pensez à ce qu’ils vivent et à ce que Guilad ne récupèrera jamais ; ces années qui, au lieu d’être les plus belles de sa vie, sont selon vos propres mots, un « calvaire ». Pensez à tout ce que vos fils ont fait en cinq ans (EPAD, mariage, bébé, platines, coupe de cheveux, tout ça…), à tout ce que vous avez fait avec eux, en tant que père et depuis peu, en tant que grand-père. Comment tolérer ce que vit la famille Shalit ? A l’heure où vous allez devenir père pour la quatrième fois, montrez que vous avez de la compassion pour des parents qui vivent depuis cinq ans dans une angoisse et une souffrance intolérables.
Et si libérer Guilad n’est pas simple, refuser (même si ce n’est que symbolique) d’accueillir le Hamas dans la communauté des nations, parce qu’ils détiennent un de vos ressortissants, serait un geste fort et honorable. Priver le Hamas des voix des pays européens serait le minimum que les démocraties de l’Union pourraient faire pour la vie d’un jeune homme et pour leurs populations.
Même si c’est fait, si une majorité de OUI est assurée, et justement parce que c’est fait, La France devrait montrer qu’elle ne transige pas, qu’elle n’accepte pas.
Monsieur Sarkozy, je terminerai par une phrase de votre discours d’investiture à la présidence de la République française: « Je m’efforcerai de construire une République fondée sur des droits réels et une démocratie irréprochable. Je vais me battre pour une Europe qui protège parce que le sens de l’idéal européen, c’est protéger les citoyens de l’Europe. » Tenez cette promesse, et protégez un citoyen franco-israélien comme vous avez protégé une citoyenne franco-colombienne, comme vous avez protégé des femmes bulgares et un homme palestinien. Protégez la France d’un vote honteux et prouvez que la République que vous incarnez n’abandonne pas un des siens.